ASSURANCES - 14.10.2020

Vous souscrivez un contrat d’assurance-vie ? Vous avez le droit de changer d’avis, mais attention si vous êtes considéré comme une personne « avertie »

Deux époux souscrivent chacun un contrat d’assurance-vie sur lequel ils versent 1 500 000 €. Deux ans et demi plus tard, ils estiment ne pas avoir reçu une information précontractuelle conforme aux exigences légales et demandent le remboursement des primes versées en s’appuyant sur la « prorogation de la faculté de renonciation ». Que nous apprend la Cour de cassation ? Que le souscripteur « averti » qui invoque les manquements de son assureur pour renoncer au contrat d’assurance-vie et ainsi échapper à l’évolution défavorable de son investissement, alors qu’il disposait de toutes les informations lui permettant de comprendre la portée de son engagement, commet un abus de droit (Cass. 2e civ. 25-6-2020 n° 19-14.047 F-D) .

Quelques explications préliminaires

Vous pouvez renoncer au contrat dans un délai de 30 jours

Une fois le contrat ou la proposition d’assurance signé, vous avez le droit de revenir sur votre décision et de renoncer au contrat(C. ass. art. L 132-5-1) .

À noter

Ce droit est personnel au souscripteur :

  • il ne peut pas être exercé par une autre personne, même l’avocat du souscripteur, sans un mandat spécial ;
  • il ne peut pas non plus être exercé par les héritiers du souscripteur après son décès ;
  • en revanche, un époux commun en biens peut renoncer seul au contrat souscrit conjointement avec l’autre époux.

Le délai pour renoncer au contrat est de 30 jours (y compris si le contrat a été signé à l’occasion d’un démarchage à domicile). Le point de départ de ce délai est la date à laquelle vous avez été informé de la conclusion du contrat.

Ce délai de 30 jours peut être prolongé, mais encore faut-il être de bonne foi !

Le délai de 30 jours pour renoncer au contrat est prolongé si :

  • le contrat définitif n’est pas conforme à la proposition initiale. Un nouveau délai de 30 jours démarre à la date de réception du contrat ;
  • votre assureur n’a pas satisfait aux obligations d’information préalable que lui impose le Code des assurances, par exemple parce qu’il n’a pas remis de note d’information (alors que la proposition d’assurance ne comportait pas l’encadré requis) ou parce que la proposition d’assurance ne comportait pas de modèle de lettre de renonciation. Le délai pour renoncer au contrat est alors prorogé : il ne prendra fin que 30 jours après la date de remise effective de ces documents.

Mais la prorogation du délai de renonciation est désormais réservée au souscripteur de bonne foi(C. ass. art. L 132-5-2, al. 4) .

Auparavant, la Cour de cassation avait jugé que la faculté de renoncer « tardivement » au contrat était discrétionnaire pour l’assuré et que sa bonne foi n’était pas requise. Mais elle est ensuite revenue sur cette position, jugeant que la bonne ou mauvaise foi du souscripteur doit être prise en compte pour apprécier si l’exercice de la faculté de renonciation ne dégénère pas en abus de droit(Cass. 2e civ. 19-5-2016 n° 15-12.767 FS-PBRI) .

Par ailleurs, il n’est plus possible de renoncer après avoir demandé le rachat total de son contrat (Cass. 2e civ. 19-2-2009 n° 08-12.280 FS-PB) .

Précisons que la prolongation du délai pour renoncer au contrat est limitée dans le temps : la faculté de renonciation au contrat doit être exercée au plus tard dans les 8 ans de la date à laquelle le souscripteur a été informé de la conclusion du contrat (règle applicable aux contrats souscrits depuis le 1er  mars 2006).

À noter

Pour exercer le droit de renoncer au contrat, vous pouvez utiliser le modèle de lettre de renonciation qui figure dans la proposition d’assurance ou le projet de contrat qui vous a été remis et l’adresser à votre assureur par lettre recommandée avec avis de réception.

La renonciation n’est possible que par lettre recommandée ou par envoi recommandé électronique et ne peut pas être exercée par lettre simple ni même par voie d’action en justice.

À compter de la réception de la lettre recommandée ou de l’envoi recommandé électronique, votre assureur a 30 jours pour rembourser l’intégralité des sommes versées. Au-delà de ce délai, il devra payer en outre des intérêts.

À noter

Si votre assureur ne répond pas à la lettre de renonciation ou refuse de rembourser, vous avez intérêt à agir rapidement en justice : vous n’avez que 2 ans pour demander la restitution des primes. Dans l’attente de la décision du tribunal, il doit éviter de faire des opérations sur son contrat (arbitrage, rachat, demande d’avance, etc.), car il pourrait être considéré comme ayant tacitement renoncé à sa renonciation.

Les faits qui ont soumis à l’appréciation des juges

Des époux souscrivent chacun auprès d’un assureur luxembourgeois un contrat d’assurance-vie en unités de compte sur lequel ils versent 1 500 000 €.

Deux ans et demi plus tard, estimant ne pas avoir reçu une information précontractuelle conforme aux exigences légales, ils invoquent la prorogation de la faculté de renonciation prévue à l’article L 132-5-2 du Code des assurances et exercent cette faculté par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

L’assureur refuse d’accéder à leur demande.

Les époux l’assignent en restitution des primes versées diminuées du rachat partiel effectué et augmentées des intérêts de retard au taux majoré. Ils sont déboutés par la cour d’appel, qui juge abusif l’exercice de leur faculté de renonciation.

La décision de la Cour de cassation : gare à l’abus de droit pour les souscripteurs avertis...

La Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel :

  • l’époux, diplômé de HEC et titulaire d’un DECS, avait travaillé comme analyste financier chez un assureur et à la direction financière d’une banque et était, à la date de l’investissement litigieux, directeur des études et de la communication d’une société d’investissement ;
  • ses compétences lui permettaient de comprendre le mécanisme de l’assurance-vie, d’analyser la documentation contractuelle relative à ce type de contrat et d’appréhender les caractéristiques du contrat proposé dans tous ses aspects ;
  • la souscription du contrat en cause faisait suite à une opération d’ingénierie financière complexe interne à son entreprise à laquelle il avait pris part, ce qui confirmait sa capacité d’appréhender des mécanismes d’investissement plus complexes que l’assurance-vie ;
  • il avait fait bénéficier son épouse de son expertise, et les multiples griefs invoqués par les époux à l’encontre du contenu des documents contractuels étaient fondés uniquement sur le non-respect du strict formalisme requis par les textes ;
  • la proposition d’assurance qui leur avait été remise comportait toutes les informations utiles et pertinentes permettant à un souscripteur averti comme l’époux d’être complètement informé au moment de sa prise de décision des risques encourus et de la portée de son engagement, malgré les manquements de l’assureur au formalisme imposé par le Code des assurances.

Au regard de la situation concrète des époux, de leur qualité d’assurés avertis et des informations dont ils disposaient réellement à la date d’exercice de leur faculté de renonciation, la cour d’appel a jugé qu’ils n’avaient exercé cette faculté que pour échapper à l’évolution défavorable de leur investissement et a ainsi caractérisé l’abus de droit.

  • Vous pouvez renoncez au contrat que vous venez de souscrire dans les 30 jours. Ce délai peut être prolongé si vous êtes de bonne foi. Mais attention si vous êtes considéré comme une personne « avertie » ! Dans ce cas, en effet, l’exercice de la faculté de renonciation peut être considéré comme abusif. Tel est le cas dans cette affaire d’une personne diplômée de HEC et titulaire d’un DECS ayant travaillé comme analyste financier.
  • L’affaire ici commentée a donné lieu à un important revirement de jurisprudence en 2016, par lequel la Cour de cassation a jugé que l’exercice de la faculté de renonciation prorogée prévue à l’article L 132-5-2 du Code des assurances est susceptible d’abus et qu’il appartient en conséquence aux juges du fond de rechercher la finalité de l’exercice de cette faculté par le souscripteur. Cette appréciation doit être faite au regard de la situation concrète du souscripteur, de sa qualité de souscripteur averti ou profane et des informations dont il a réellement disposé (Cass. 2e civ. 19-5-2016 n° 15-12.767 FS-PBRI) . En l’espèce, la cour d’appel, dans l’arrêt rendu sur renvoi après cassation, a caractérisé l’abus de droit selon les critères énoncés par la Haute Juridiction, et notamment au regard de la qualité de professionnel de la finance de l’époux, qui ne laissait que peu de doutes quant à la finalité de la renonciation.
  • La loi prévoit expressément l’exigence de bonne foi du souscripteur dans l’exercice de la faculté de renonciation prorogée pour les contrats souscrits depuis le 1er  janvier 2015 (C. ass.art. L 132-5-2 modifié par la loi 2014-1662 du 30-12-2014 art. 5) . La jurisprudence de 2016 précitée est venue étendre aux contrats conclus avant le 1er  janvier 2015 cette exigence de bonne foi, via la notion d’abus de droit.

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