Servitudes de vue : importantes précisions !
Une décision à méditer
Pour une servitude de vue… Un propriétaire peut pratiquer des ouvertures dans un mur, générant une servitude de vue dite légale sur la propriété de son voisin, dans les limites fixées par le Code civil (art. 675 et s. ; rép. min. n° 12998 du 09.07.2020 JO Sénat p. 3186) . Une servitude de vue peut aussi être créée par convention (Cass. 3e civ., 10.09.2020 n° 18-26659 et 09.07.2020 n° 19-14.456) . La servitude peut aussi s’acquérir par prescription (trentenaire).
Pour l’acquisition par prescription… Le propriétaire d’un lot d’une copropriété X crée, en 1976, dans un mur extérieur (partie commune), des ouvertures avec vues droites et directes donnant sur une autre copropriété Y. Plus de 30 ans plus tard, celle-ci assigne le copropriétaire et la copropriété X en suppression des ouvertures. La Cour d’appel saisie du litige condamne le copropriétaire (et la copropriété X) à fermer les ouvertures, en expliquant qu’il ne peut se prévaloir de l’acquisition d’une servitude de vue par prescription, car les vues avaient été percées en parties communes de la copropriété X sans son accord (en AG), outre sans déclaration préalable en mairie.
Un arrêt à intégrer… L’arrêt d’appel a été censuré pour violation de l’article 690 du Code civil, qui prévoit que les «servitudes continues et apparentes s’acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans» . Reprenant un principe posé en 1965 , la Cour de cassation juge qu’une «servitude de vue constitue une servitude continue et apparente qui existe du fait-même de la présence de l’ouverture donnant sur l’héritage d’autrui et dont la possession subsiste tant qu’elle n’est pas matériellement contredite» . Pour la Cour de cassation, au vu de ce principe, «l’absence de déclaration préalable d’urbanisme et le défaut d’autorisation des travaux de percement par l’assemblée générale des copropriétaires ne font pas obstacle à l’acquisition d’une servitude de vue par prescription»(Cass. 3e civ. 21.04.2022 n° 21-12240) .
Côté professionnels : des leçons à tirer
En vente. L’arrêt du 21.04.2022 invite à la prudence les agents immobiliers et notaires, pour la vente d’un bien. Pour informer utilement un (futur) acquéreur, et rédiger au mieux vos actes, il convient de s’interroger en tant que de besoin, tel après visite, sur l’existence éventuelle d’une servitude de vue grevant le bien, acquise par prescription trentenaire au profit d’une propriété voisine. Cela peut par ex. être le cas lorsqu’un voisin a construit, il y a plus de 30 ans, une terrasse ayant une «vue dominante et dégagée» sur un bien. Il peut alors se prévaloir de l’acquisition par prescription d’une servitude de vue, non clandestine, depuis sa terrasse (Cass. 3e civ. 01.02.2018 n° 16-27532) .
Retrouvez les précisions, exemples et commentaires du Mémento Vente immobilière sur https://www.alertesetconseils.fr , Annexes, année 18, n° 7.
Gare aux empiètements ! Pour la Cour de cassation, une servitude de vue «ne peut conférer le droit d’empiéter sur la propriété d’autrui»(Cass. 3e civ. 23.11.2017 n° 16-20521) . Nonobstant l’acquisition de la servitude par prescription, un recours est ainsi possible si les travaux concernés ont généré un empiètement. Dans l’affaire jugée le 21.04.2022, le copropriétaire avait (aussi) aménagé une terrasse empiétant sur la copropriété Y. La Cour de cassation a approuvé la condamnation de la copropriété X à indemniser la copropriété Y.
Motif ? Informée des ouvertures pratiquées en partie commune sans son autorisation, il lui revenait de mettre en demeure le copropriétaire de rétablir les lieux en l’état initial. Cette «négligence fautive» avait contribué au préjudice de la copropriété Y, lié à l’atteinte à son droit de propriété et aux troubles anormaux de voisinage générés par l’activité commerciale du locataire du copropriétaire. Syndics, réagissez vite, en pareille situation.
Notice sur https://www.alertesetconseils.fr , Annexes, année 18, n° 7.