BANQUE & CRÉDIT - 05.07.2022

Clauses abusives dans les prêts en devises étrangères : le contrôle est renforcé

Tirant les conséquences de la jurisprudence européenne récente, la Cour de cassation renforce le contrôle des clauses abusives dans le cadre des prêts en devises étrangères (Cass. 1e civ. 20-4-2022 n° 20-16.316 FS-B, n° 19-11.599 FS-B et n° 19-11.600 FS-B) .

Vue d'ensemble

La Cour de justice de l’Union européenne s’est récemment prononcée en faveur des emprunteurs ayant souscrit des prêts immobiliers en francs suisses et remboursables en euros(CJUE 10-06-2021 aff. 609/19, 776/19 et 782/19) . La Cour de cassation (Cass. 1e civ. 30-3-2022 n° 19-17.996 FS-B) a déjà tiré les conséquences de ces décisions en ce qui concerne :

  • l’ obligation d’information mise à la charge de la banque ;
  • et l’ imprescriptibilité de l’action tendant à voir réputée non écrite une clause abusive .

Par trois arrêts rendus le même jour, la Cour reprend à présent la jurisprudence européenne en ce qui concerne l’application de la réglementation sur les clauses abusives dans le cadre de ces prêts.

La réglementation prévoit, on le rappelle, que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat (C. consom. art. L 212-1) .

Des faits similaires dans trois affaires

Les emprunteurs demandent que la clause de monnaie étrangère soit déclarée abusive

Dans la première affaire, un particulier souscrit un prêt multidevises de 1 500 000 € ou l’équivalent à la date de tirage du prêt dans l’une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais, le prêt étant finalement tiré pour un montant de 2 389 500 francs suisses. La banque convertit ensuite ce prêt en euros.

Dans les deux autres affaires, sont en cause des prêts libellés en francs suisses et remboursables en euros (prêt « Helvet Immo ») consentis à des époux.

Leur demande est rejetée en cour d'appel

Pour écarter l’existence d’un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur, deux cours d'appels font respectivement état des motifs suivants.

La première cour d’appel retient :

  • que l’emprunteur supporte le risque de variation du taux de change, qui ne dépend pas de la volonté des parties, et en particulier de celle de la banque ;
  • et que l’emprunteur était maître du choix de la devise dans laquelle le prêt était tiré, ce dont il résulte que la banque n’avait nullement imposé à l’emprunteur une devise à son détriment.

La seconde cour d’appel retient :

  • que les variations du taux de change ont pour conséquence soit d’allonger, soit de réduire la durée du crédit, de sorte que cette clause n’est pas stipulée au seul détriment des emprunteurs, les variations étant subies réciproquement par les deux parties :
  • et que, si les emprunteurs ne veulent plus être soumis aux variations du taux de change, ils peuvent demander, tous les 3 ans, la conversion de leur prêt en euros.

La décision de la Cour de cassation

L'exigence de transparence doit être appliquée rigoureusement

La Cour de cassation censure le raisonnement des juges du fond et se prononce en faveur du caractère abusif de la clause litigieuse.

Elle rappelle en premier lieu que l’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible (C. consom. art. L 212-1, ex-art. L 132-1 ; Dir. CE 93/13 du 5-4-1993 art. 4, 2°) .

Puis, la Cour se fonde sur les motifs suivants.

Dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat, qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen , normalement informé et raisonnablement attentif et avisé :

  • de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause ;
  • et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières, pendant toute la durée de ce même contrat.

De telles clauses, qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu’il soit plafonné , sur l’emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait pas raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.

Par ailleurs, la banque ne satisfait pas à l’exigence de transparence à l’égard du consommateur dès lors que les documents remis au consommateur ne lui permettent pas d’évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de la clause, autorisant le tirage du prêt dans une autre devise, sur ses obligations financières, en l’absence de tout exemple chiffré, de toute simulation et de toute explication sur la distinction entre la monnaie de compte et la devise initiale.

L’absence de preuve du respect de cette exigence est également soulignée au titre du manquement de la banque à son obligation d’information.

Une très nette évolution de la jurisprudence antérieure, favorable au consommateur

Dans la droite ligne de la jurisprudence européenne, la Cour de cassation renforce donc à son tour l’exigence de transparence qui pèse sur la banque, le caractère abusif d’une clause pouvant être déduit de son manque de transparence .

Jusqu’à présent, la Haute Juridiction adoptait généralement une conception souple de l’exigence de transparence. Les clauses de monnaie de compte échappaient ainsi souvent à tout contrôle de leur caractère abusif car jugées claires et compréhensibles et considérées comme portant sur l’objet principal du contrat (Cass. 1e civ. 13-3-2019 n° 17-23.169 F-PB ; Cass. 1e civ. 3-5-2018 n° 17-13.593 FS-PB) .

En rompant ici avec cette conception, et en exigeant que l’emprunteur soit informé de manière concrète des conséquences économiques potentiellement significatives de la clause sur ses obligations financières, les décisions commentées marquent ainsi un tournant favorable au consommateur.

  • Rappelons que, depuis le 1er  juillet 2016, les emprunteurs immobiliers peuvent contracter des prêts libellés dans une devise autre que l’euro, remboursables en euros ou dans la devise concernée, seulement s’ils déclarent percevoir principalement leurs revenus ou détenir un patrimoine dans cette devise au moment de la signature du contrat de prêt, excepté si le risque de change n’est pas supporté par l’emprunteur (C.consom. art. L 313-64) .
  • La solution retenue par les décisions commentées n’a donc d’intérêt que pour les prêts conclus avant cette date. Il n’en reste pas moins qu’elle ouvre la voie à un nombre important de cassations, de nombreux contentieux étant encore en cours.

Contact

Éditions Francis Lefebvre | 42 Rue de Villiers, CS50002 | 92532 Levallois Perret Cedex

Tél. : 03 28 04 34 10 | Fax : 03 28 04 34 11

service.clients.pme@efl.fr | pme.efl.fr

SAS au capital de 241 608 € • Siren : 414 740 852
RCS Nanterre • N°TVA : FR 764 147 408 52 • APE : 5814 Z