JURIDIQUE ‑ DROIT DES AFFAIRES - 09.11.2022

Débaucher un salarié : un acte de concurrence déloyale ?

Vous devez embaucher et connaissez le travail remarquable effectué par un salarié d’une entreprise concurrente. Vous lui proposez donc d’intégrer votre entreprise avec de meilleures conditions de travail. Dans quelle mesure pourrait‑il vous être reproché un acte de concurrence déloyale ? Réponse au regard d’un cas jugé récemment.

Les faits

Une société ayant pour activité la fourniture de services et la réalisation de travaux sur le réseau ferroviaire reproche à son ancien directeur général d’avoir participé à la création d’un groupe de sociétés concurrentes et d’avoir œuvré pour débaucher des cadres et personnels qualifiés de l’entreprise. Y voyant un acte de concurrence déloyale, elle le poursuit, ainsi que les sociétés concurrentes, afin d’obtenir des dommages‑intérêts pour concurrence déloyale.

Les intéressés soutiennent toutefois que les actes reprochés à l’ancien directeur général ne sont pas fautifs, compte tenu du faible nombre de salariés débauchés et de leur incidence limitée, puisque la filiale a connu ensuite une croissance exponentielle.

Ce qu’en a dit le juge

Le juge relève que les départs à la concurrence de trois cadres dirigeants, même si leur nombre était limité au vu de l’effectif de plus de 400 salariés, avaient nécessairement désorganisé la société, du fait du niveau de responsabilité et de qualification des intéressés, et du fait que les démissions s’étaient ensuite multipliées après le départ du directeur général, puisqu’au total au moins 16 salariés avaient rejoint les sociétés concurrentes. Le départ d’un autre salarié, qui avait ensuite créé l’une des sociétés concurrentes, et celui de cinq techniciens spécialisés dans l’annonce de la circulation des trains dans les zones de travaux, avaient désorganisé la société en alourdissant ses frais par la souscription d’un contrat de mise à disposition de personnel pour assurer les activités de sa filière signalisation.

Il ajoute que les comptes de la société révélaient que ce débauchage fautif avait eu un impact financier, en ce qu’il existait une relation directe entre la capacité de la société à recruter du personnel et le volume d’activité pouvant être réalisé par elle. Si cet effet avait été limité et avait été réduit dans le temps, le débauchage fautif avait néanmoins causé des retards sur les chantiers et des coûts de formation de nouveaux personnels techniques, dans une période de croissance exponentielle due au programme de modernisation du réseau ferré décidé par le groupe.

Il décide donc que le débauchage déloyal de salariés de la société avait bien entraîné une désorganisation effective dans l’exercice concret de son activité, même si les effets de cette désorganisation étaient plus limités que ce qui était allégué (Cass. com. 22‑6‑2022 n° 20‑20.768) .

Le débauchage fautif

Un acte de concurrence déloyale si… Pour constituer un acte de concurrence déloyale, le débauchage de salariés d’un concurrent doit, outre s’accompagner de manœuvres, entraîner la désorganisation de l’entreprise concernée.

Prouver la désorganisation de l’entreprise. La preuve concrète de la désorganisation est exigée, et le fait que les salariés débauchés occupaient des postes stratégiques ne suffit pas à cette démonstration (Cass. com. 20‑9‑2016 n° 15‑13.263) . Le nombre de salariés concernés n’est pas à lui seul déterminant, une entreprise pouvant être désorganisée par le départ d’un seul salarié (CA Versailles 25‑6‑2009 n°  08/3959) . En revanche, comme le relève ici la Cour de cassation, l’ampleur de la désorganisation (et donc du préjudice) aura une incidence sur le montant des dommages‑intérêts.

A été jugé fautif le débauchage de 16 salariés d’une société en comptant 400, dès lors qu’il a entraîné une désorganisation effective dans l’exercice concret de l’activité, même si les effets de cette désorganisation étaient plus limités que ce qui était allégué.

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