Travaux pour un usufruitier : importantes précisions !
Si un usufruitier subit des désordres…
Vous avez dit «usufruitier» ? Le droit français permet une dissociation des attributs du droit de propriété portant sur un bien. Dans le jargon juridique, on parle de «démembrement». Ceci permet de dissocier la nue‑propriété du bien, confiée à un nu‑propriétaire, et l’usufruit, confié à un usufruitier. Les règles régissant l’usufruit sont fixées par le Code civil, qui précise les droits qui sont reconnus à l’usufruitier, mais aussi ses obligations (C. civ. art. 578 et s.) .
En pratique. Une personne peut devenir usufruitière en raison d’un texte légal (p.ex. à la suite du décès d’un conjoint). Un usufruit peut aussi trouver son origine dans un testament, un acte de donation ou un acte de vente (portant sur l’usufruit).
Une règle pour la garantie décennale
Pour la garantie décennale… Lorsqu’une personne physique ou morale, qu’il s’agisse d’un particulier ou d’un professionnel, fait réaliser des travaux constitutifs d’un ouvrage, elle bénéficie après la réception d’une garantie légale dite «décennale», prévue par l’article 1792 du Code civil, pour certains désordres. Cette garantie est due par les constructeurs ou entrepreneurs concernés (et leurs assureurs en responsabilité civile décennale – RCD). Le texte prévoit une responsabilité dite «de plein droit», avec une «présomption» de responsabilité des intéressés, sous réserve que la preuve de la gravité requise du désordre dans le délai décennal soit rapportée (Cass. 3e civ. 30‑11‑2022 n° 21‑23097) .
Pour l’usufruitier… Dans une affaire, une société a confié la réalisation de la charpente et du revêtement d’un bâtiment commercial à une entreprise. Confrontée à de graves désordres, la société a réclamé réparation à l’entreprise et à son assureur, au titre de la garantie décennale, en sa qualité d’usufruitière du bâtiment.
C’est non ! Par un arrêt rendu le 16‑11‑2022, la Cour de cassation a écarté la demande de la société, en posant le principe inédit suivant : un «usufruitier, quoique titulaire du droit de jouir de la chose comme le propriétaire, n’en est pas le propriétaire et ne peut donc exercer, en sa seule qualité d’usufruitier, l’action en garantie décennale que la loi attache à la propriété de l’ouvrage et non à sa jouissance»(Cass. 3e civ. 16‑11‑2022 n° 21‑23505) .
En pratique. Il découle de l’arrêt qu’un usufruitier ne peut ainsi agir seul en justice contre un constructeur ou entrepreneur (ou son assureur RCD), sur le fondement de la garantie décennale. Il revient en principe au nu‑propriétaire de faire le nécessaire. Au vu de l’arrêt, à notre avis, l’usufruitier peut (uniquement) faire le nécessaire s’il prouve avoir été mandaté par le nu‑propriétaire. Cela peut être le cas si, dans l’acte ayant procédé au démembrement de propriété, il a été prévu une clause appropriée.
Une règle pour le recours possible
Un autre recours possible… Dans son arrêt, la Cour de cassation a également apporté la précision suivante, sous la forme d’un principe inédit : un «usufruitier, qui n’a pas qualité pour agir sur le fondement de la garantie décennale, peut néanmoins agir, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, en réparation des dommages que lui cause la mauvaise exécution des contrats qu’il a conclus pour la construction de l’ouvrage, y compris les dommages affectant l’ouvrage» .
Sous condition… La mise en œuvre de la responsabilité contractuelle de droit commun suppose que soit rapportée la preuve d’une faute du constructeur ou de l’entreprise concerné(e), et d’un lien de causalité entre cette faute et les désordres allégués. Il n’y a pas de présomption de responsabilité.