BÂTIMENT ‑ VIE PROFESSIONNELLE - 02.03.2023

Procédure d’une durée excessive = droit à indemnisation ?

Un opérateur du bâtiment peut être confronté à une longue procédure contentieuse devant le juge administratif (litige fiscal, droit de l’urbanism, etc.). Si cette procédure dure trop longtemps, peut‑il réclamer une indemnisation à l’État ? Voyons cela…

Un droit à indemnisation possible…

À défaut de «délai raisonnable»… Le Conseil d’État estime qu’il «résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable» . Si «la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice» .

Vous avez dit «délai raisonnable» ? Pour le Conseil d’État, le « caractère raisonnable du délai de jugement d’une affaire doit s’apprécier de manière à la fois globale, compte tenu notamment, de l’exercice des voies de recours, particulière à chaque instance et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle‑ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l’intérêt qu’il peut y avoir, pour l’une ou l’autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige» et de sa nature «à ce qu’il soit tranché rapidement»» . Si la durée totale d’une procédure «n’a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l’État est néanmoins susceptible d’être engagée si la durée de l’une des instances a, par elle‑même, revêtu une durée excessive»(CE 10‑10‑2022 n° 461299) .

En pratique. Les juges apprécient au cas par cas si la durée d’une procédure a été excessive (p.ex. CE 14‑3‑2022 n° 458257) . Si la réglementation applicable prévoit une procédure préalable obligatoire à la saisine du juge, la «durée globale de jugement doit s’apprécier, en principe, en incluant cette phase préalable»(CE 13‑7‑2016 n° 389760) . Cependant, le juge peut déduire de la durée totale d’une procédure celle qu’il vous estime «imputable»(CE 10‑10‑2022 n° 461299) .

… mais pour quelle indemnisation ?

Gare aux faux espoirs… Le Conseil d’État juge qu’un justiciable peut «obtenir la réparation de l’ensemble des dommages, tant matériels que moraux (…) causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice»(CE 23‑11‑2021 n° 448726) .

Pour les préjudices indemnisables… Le Conseil d’État a jugé qu’il faut pouvoir prouver «un lien de causalité direct et certain entre les préjudices allégués et le délai excessif de la procédure»(CE 25‑11‑2022 n° 443253) . En l’espèce, ce lien de causalité a été écarté pour une société qui expliquait que la durée d’un procès (11 ans) avait eu pour effet de limiter son accès à des sources de financement bancaire et d’entraver son développement, ce qui s’était traduit par une baisse de chiffre d’affaires, outre une dépréciation de ses actifs. Le Conseil d’État a par ailleurs jugé que le «caractère excessif de la durée d’une procédure» n’ouvre pas droit à la réparation des préjudices trouvant « leur origine directe dans le comportement de l’administration» dans l’exécution d’une décision (même arrêt) .

Pour l’indemnisation…  La durée excessive d’une procédure «est présumée entraîner, par elle‑même, un préjudice moral dépassant les préoccupations habituellement causées par un procès, sauf circonstances particulières»(CE 23‑11‑2021 n° 448726) . L’indemnité allouée au titre du préjudice moral par le Conseil d’État est toutefois (très) limitée, en pratique. Pour un procès de 11 ans, l’État a p.ex. été condamné à verser uniquement une indemnité de 6 000 €, outre une somme de 3 000 € pour les frais d’avocat (CJA, art. L 761‑1) . L’indemnité a pu souvent varier entre 1 000 € (p.ex. CE 23‑11‑2021 n° 448726) et 3 000 € (p.ex. CE 10‑10‑2022 n° 461299) . La jurisprudence invite à y réfléchir à deux fois avant de se lancer dans un procès en indemnisation (consultez un avocat spécialisé).

La responsabilité de l’État est susceptible d’être engagée, et une indemnisation réclamée, si une procédure a eu une durée excessive. L’intérêt d’engager ou non un procès doit être apprécié au cas par cas, avec un dossier solide pour justifier de vos préjudices. Consultez un avocat spécialisé pour savoir si le jeu en vaut la chandelle.

Contact

Éditions Francis Lefebvre | 42 Rue de Villiers, CS50002 | 92532 Levallois Perret Cedex

Tél. : 03 28 04 34 10 | Fax : 03 28 04 34 11

service.clients.pme@efl.fr | pme.efl.fr

SAS au capital de 241 608 € • Siren : 414 740 852
RCS Nanterre • N°TVA : FR 764 147 408 52 • APE : 5814 Z