SALAIRE - ÉGALITÉ SALARIALE - 01.06.2023

Bulletin de salaire : toujours confidentiel ?

Un salarié peut-il obtenir le bulletin de salaire d’un collègue pour prouver une discrimination ?

La preuve en cas de discrimination

Les règles de preuve en matière de discrimination sont aménagées en faveur du salarié : il présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, et c’est à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs (C. trav. art. L 1134-1) . Cette règle vaut aussi en cas d’inégalité professionnelle ou de rémunération entre femmes et hommes (C. trav. art. L 1144-1 et L 3221-8) , et d’atteinte au principe « à travail égal, salaire égal » (Cass. soc. 28‑9‑2004 n° 03-41.825) .

Par ailleurs, tout intéressé peut, en cas de motif légitime, demander, sur requête ou en référé, que soient ordonnées les mesures d’instruction nécessaires à conserver ou établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige (CPC art. 145) , cette règle n’étant pas remise en cause par le régime de preuve spécifique à la discrimination (Cass. soc. 22‑9‑2021 n° 19-26.144) .

L’affaire en cause

Les faits. Une salariée a été responsable projets transverses dérivés, puis ensuite nommée directrice stratégie et projets. Après son licenciement, estimant avoir subi une inégalité salariale par rapport à certains collègues masculins occupant des postes identiques, elle a saisi les prud’hommes en référé pour obtenir communication de leurs bulletins de paie et ainsi permettre la comparaison entre sa rémunération et la leur.

Le litige. Le juge des référés, conforté ensuite par la cour d’appel, avait ordonné sous astreinte la communication des bulletins de paie de 8 salariés masculins après occultation des données personnelles, à l’exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle, de la rémunération mensuelle détaillée et de la rémunération brute totale cumulée par année civile. L’employeur conteste cette décision, avec les arguments suivants :

  • la communication des données personnelles des salariés visés est contraire au règlement européen 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27‑4‑2016 (RGPD) ;
  • la communication des bulletins n’était ni indispensable au droit de la preuve ni proportionnée au droit au respect de la vie privée, car la salariée était déjà en mesure de présenter des éléments de fait susceptibles de laisser présumer l’existence de la discrimination invoquée, comme les rapports égalité femmes/hommes qui avaient été présentés, ou l’index de l’égalité de l’année concernée.

La réponse. L’employeur est débouté, la communication des bulletins étant ici considérée comme justifiée car indispensable au droit de la preuve, et proportionnée à la défense de l’égalité de traitement (Cass. soc. 8‑3‑2023 n° 21-12.492)  :

  • au regard du RGPD, le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu et doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société, et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité ;
  • il appartient au juge, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée ;
  • or, au vu des constatations des juges du fond, la communication des bulletins de paie des 8 salariés masculins était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire la défense de l’intérêt légitime de la salariée à l’égalité de traitement entre femmes et hommes en matière d’emploi et de travail.

À savoir. Ce n’est pas la 1e  fois que la Cour de cassation confirme la possibilité pour les juges, en référé ou non, d’accorder au salarié demandeur la communication de documents permettant une comparaison avec certains collègues :

  • pour des bulletins de paie (Cass. soc. 19‑12‑2012 n° 10-20.526)  ;
  • pour différentes pièces (bulletins, contrats de travail, etc.), avec, le cas échéant, la possibilité pour le juge d’en limiter le périmètre si la demande est trop générale (Cass. soc. 16‑12‑2020 n° 19-17.637) .
Si le juge l’estime nécessaire et légitime pour la preuve d’une inégalité salariale, vous pouvez être contraints de fournir les bulletins de paie de salariés de votre entreprise.

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