ASSURANCES - 10.06.2024

Pour qualifier une prime d'exagérée, il convient de tenir compte de la situation patrimoniale globale du souscripteur

Confirmation de jurisprudence. Pour établir le caractère manifestement exagéré de primes versées sur un contrat d'assurance-vie, il convient de retenir la situation patrimoniale globale du souscripteur, intégrant l’épargne et l’immobilier. Celle-ci doit être analysée au regard de son âge, de sa situation patrimoniale et familiale et de l'utilité du contrat pour le souscripteur aux dates de leurs versements (Cass. 1e civ. 2‑5‑2024 n° 22-14.829 F-D). De faibles revenus voire l'absence de revenus du souscripteur lors de chaque versement ne suffisent donc pas pour établir ce caractère manifestement exagéré.

Quelques explications préliminaires

En principe, les capitaux décès versées par l'assureur au titre d'un contrat d'assurance-vie échappent au droit matrimonial et au droit des successions.

Ce régime dérogatoire favorable ne s'appliquent cependant pas en cas de primes manifestement exagérées. Ces primes :

  • sont soumises aux règles du rapport à la succession et, le cas échéant, à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ;
  • et peuvent donnere lieu à récompense au profit de la commaunuté conjugale, lorsque le bénéfice de l’assurance a été contracté par un époux commun en biens en faveur de son conjoint.

La notion de prime manifestement exagérée n’est pas définie par le Code des assurances. En cas de contestation, l’importance des primes s’apprécie par rapport à des éléments de fait (exemple : facultés du souscripteur). Aucune règle forfaitaire ne peut a priori être établie en ce domaine pour déterminer à partir de quel pourcentage l’Administration est en mesure de procéder à la requalification des sommes versées.

Les circonstances de l'affaire

Un époux décède en 2020, son épouse en 2013. Leur fils réclame le rapport à la succession de cette dernière du capital décès versé à sa sœur en exécution de la clause bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie souscrit en 2000 par leur mère.

La cour d'appel fait droit à cette demande. Pour juger que les primes versées étaient manisfestement exagérées, elle constate que trois primes, pour un montant total de 64 142,85 € ont été versés sur le contrat d'assurance-vie. Elle relève notamment :

  • que la mère n'avait pas de revenus propres lors de la souscription, date du premier versement, et que son époux et elle n'étaient pas assujettis en 2020 à l'IR : la cour en déduit que l' utilité du contrat n'est pas démontré ;
  • que le second versement a eu lieu alors que la fille bénéficiaire venait d'être désignée curatrice de sa mère ;
  • que le dernier versement a été réalisé le lendemain même du décès de l'époux, et que le capital décès versé (86 719,45 € en l'occurrence) était finalement supérieur au montant de l'épargne mentionné en 2002.

La fille se pourvoit en cassation.

La décision de la Cour de cassation

La Cour censure la décision de la cour d'appel. Elle rappelle que les primes versées par le souscripteur d'un contrat d'assurance sur la vie ne sont rapportables à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur (C. ass. art. 132-13) , un tel caractère s'appréciant :

  • au moment du versement ;
  • au regard de l'âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l'utilité du contrat pour celui-ci.

Or, à propos de la première prime, les juges du fond n'ont pas tenu compte de la situation patrimoniale globale de la souscriptrice, en s’abstenant de rechercher si elle ne disposait pas, à la date du versement, d’un patrimoine immobilier et d’une épargne sur divers comptes. Et à propos des deux autres primes, la cour ne s'est pas prononcée au regard d’éléments autres que l’âge, la situation patrimoniale et familiale de la souscriptrice et l’utilité du contrat pour elle.

  • La Cour de cassation rappelle ici les critères d’appréciation de l’exagération, définis par ses soins et confirmés de façon constante depuis, à savoir l’âge du souscripteur, ses situations patrimoniale et familiale et l’utilité du contrat pour lui (Cass. 2e civ. 4‑12‑2008 n° 07-20.544 F-D ; Cass. 2e civ. 16‑6‑2022 n° 20-20.544 F-D) .
  • Les juges du fond apprécient souverainement l’existence de l’exagération, à la date de chaque versement, en associant ces critères selon la méthode du faisceau d’indices. Cette faculté de recourir à plusieurs indices ne les autorise pas pour autant à s’écarter des critères énoncés, en se référant au montant de la quotité disponible (Cass. 2e civ. 4‑7‑2007 n° 06-11.659 FS-D) , à l’intention du souscripteur d’échapper aux règles du droit successoral (Cass. 2e civ. 23‑10‑2008 n° 07-19.550 F-D) ou, comme dans l'affaire ci-dessus commentée, au conflit d’intérêts visant la fille en sa double qualité de bénéficiaire et curatrice.
  • Cette décision a pour principal intérêt de rappeler que les situations patrimoniale et familiale du souscripteur doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble (Cass. 1e civ. 29‑5‑2013 n° 12-11.785 F-D, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir tenu compte dans le patrimoine de la souscriptrice des bons au porteur qu’elle détenait ; Cass. 1e civ. 6‑11‑2019 n° 18-16.153 F-D, les approuvant d’avoir pris en compte le fait que le souscripteur partageait les charges de la vie courante avec sa compagne) .

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