Abus de droit : une procédure obligatoire s’impose au fisc
Les faits
Une SCI, qui a pour associés un notaire et son épouse, fait l’acquisition de trois appartements situés en région parisienne.
L’administration fiscale, à l’occasion du contrôle de la déclaration de succession du vendeur, entre-temps décédé, a constaté un écart substantiel entre le prix de vente des trois biens en cause et les valeurs ressortant du marché local. Elle a alors adressé une proposition de rectification à la SCI, en considérant que les trois ventes constituaient des donations indirectes et elle a appliqué un intérêt de retard, ainsi que de la pénalité pour manquement délibéré au taux de 40 %.
La position du juge
Le juge rappelle que ne peuvent être opposés à l’administration fiscale les actes qui dissimulent la portée véritable d’un contrat ou d’une convention à l’aide de clauses qui donnent ouverture à des droits d’enregistrement ou à une taxe de publicité foncière moins élevés. Néanmoins, pour écarter les actes fictifs ou inspirés par un motif exclusivement fiscal, l’administration fiscale est tenue d’utiliser la procédure spécifique d’abus de droit.
Le juge constate que l’administration, dans sa proposition de rectification, s’est attachée à démontrer la réunion des éléments constitutifs d’une donation sous l’apparence d’une vente, tout en invoquant la volonté manifeste et délibérée de la société, eu égard à la profession de notaire de son principal associé, d’éluder les droits dont elle était redevable. Il constate encore que l’administration a soutenu que l’écart substantiel entre les prix de cession pratiqués et les valeurs ressortant du marché local, représentatif de ventes à vils prix, était volontaire et le fait de personnes parfaitement informées, justifiant l’application de la majoration pour manquement délibéré.
Le juge estime donc que l’administration s’était placée sur le terrain de l’abus de droit et que, faute pour elle de s’être conformée à la procédure prévue dans ce cas, la procédure de redressement et celle, subséquente, de recouvrement étaient entachées d’irrégularité, justifiant le dégrèvement (Cass. com. 04.03.2020 n° 17-31642) .
Ce qu’il faut savoir
De quoi s’agit-il ? Sanctionner un abus de droit, c’est sanctionner un acte ou une opération qui aura été réalisé dans le but d’éviter sciemment l’impôt, en dehors de toute autre considération juridique, économique, patrimoniale, etc. (LPF art. L 64) . Il ne s’agit pas ici d’optimisation fiscale, qui vise à utiliser et interpréter la réglementation fiscale en toute légalité dans un sens qui est le plus favorable.
Quelles conséquences ? L’administration fiscale appliquera, sur le montant des impôts rectifié, une majoration de 80 % s’il est établi que vous êtes l’instigateur ou le bénéficiaire principal de l’abus de droit, de 40 % si cette preuve n’est pas rapportée.
Quelles conditions ? Pour appliquer ces majorations, l’administration doit recourir à la procédure d’abus de droit. Cela implique qu’elle doit clairement indiquer, dans la proposition de rectification fiscale, qu’elle se place expressément dans le cadre de cette procédure, que vous puissiez solliciter l’avis du comité de l’abus de droit fiscal, qu’elle prouve que l’opération est constitutive d’un abus de droit et que cette procédure soit mise en œuvre sur décision d’un agent ayant au moins le grade d’inspecteur divisionnaire, lequel doit apposer son visa sur la proposition de rectifications.