Garantie décennale : des précisions des juges sur ses conditions de mise en œuvre et sa portée
Garantie décennale : rappel. Au titre de l’article 1792 du Code civil, tout «constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage», des dommages «qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination» . Est notamment réputé «constructeur» tout maître d’œuvre ou entrepreneur du bâtiment lié par un contrat avec le maître d’ouvrage - MO (C. civ. art. 1792-1) .
Décennale : qui peut s’en prévaloir ?
En droit. La Cour de cassation a jugé que les «constructeurs ne sont responsables, de plein droit, des dommages» relevant de l’article 1792 du Code civil «qu’à l’égard du maître de l’ouvrage ou de l’acquéreur» de cet ouvrage (Cass. 3e civ. 1‑2‑2024 n° 22-21025) .
En pratique. À ce titre, un locataire ne peut agir en responsabilité décennale pour des travaux réalisés par son bailleur si celui-ci était le maître d’ouvrage . Le locataire doit agir en responsabilité délictuelle, ce qui suppose qu’il démontre une faute du constructeur (arrêt 22-21025) .
Décennale : pour quels désordres ?
Une limite temporelle. Toute personne dont la responsabilité peut être engagée en vertu de l’article 1792 du Code civil «est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle (...) après dix ans à compter de la réception des travaux»(C. civ. art. 1792‑4‑1) . La Cour de cassation a jugé à cet égard que « seuls les dommages qui, avant l’expiration d’un délai de dix ans courant à compter de la réception, compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination, engagent de plein droit la responsabilité des constructeurs»(Cass. 3e civ. 7‑12‑2023 n° 22-19463) .
Vice/défaut apparent. La Cour de cassation a jugé qu’en application de l’article 1792 du Code civil, les «défauts de conformité et vices de construction apparents sont couverts par une réception sans réserve»(Cass. 3e civ. 18‑1‑2024 n° 22-22480) . Mais notez qu’un défaut/vice non réservé n’est «purgé» par la réception, au titre de la responsabilité décennale, que si un MO a été en mesure d’en apprécier «toutes ses conséquences dommageables»... lors de la réception (Cass. 3e civ. 16‑2‑2022 n° 21-12828) . Si ce n’est pas le cas, des juges ne peuvent écarter une demande fondée sur l’article 1792 du Code civil, comme cela a été jugé le 18‑1‑2024 pour des désordres générés par un défaut de positionnement de l’armature du fond mobile d’une piscine (arrêt 22-22480) .
Garantie décennale : quelle portée ?
En droit. La Cour de cassation a jugé que «tous dommages, matériels et immatériels, consécutifs aux désordres de l’ouvrage, doivent être réparés par le constructeur tenu à garantie» en application de l’article 1792 du Code civil (Cass. 3e civ. 15‑2‑2024 n° 22-23179) . Un constructeur est ainsi tenu «à réparation de l’ensemble des conséquences dommageables des désordres à l’ouvrage, quelle qu’en soit la nature, matérielle ou immatérielle»(Cass. 3e civ. 7‑12‑2023 n° 22-20699) . Pour un préjudice matériel, notons que les juges ne peuvent allouer une indemnité TTC (avec TVA) si le MO n’a formulé qu’une demande sur une somme hors taxe (arrêt n° 22-21025) .
En pratique. Un MO peut notamment se prévaloir d’un préjudice de jouissance, résultant de l’impossibilité d’habiter ou de louer un logement (arrêt n° 22-23179) . En immobilier d’entreprise, un MO peut se prévaloir de pertes d’exploitation subies du fait de désordres, comme cela a été jugé pour une station-service (arrêt n° 22-20699) .
Conseil. Un entrepreneur doit veiller à s’assurer correctement pour l’ensemble des dommages qui ne sont pas couverts par son assurance (obligatoire) en décennale (RCD).